Charlie Hebdo
"CHARLIE HEBDO" Mercredi 10 août 2005
Délit de solidarité
Réouverture de la chasse aux militant.
Depuis le retour de M. Propre Place Beauvau, les militants de la cause des sans-papiers connaissent de mieux en mieux les commissariats.Bien décidé à tout nettoyer du sol au plafond, Nicolas a relancé dans certains quartiers un sport qui fut un temps national: l'intimidation des plus faibles.
Dire ce qu'il fait et faire ce qu'il dit. Nicolas Sarkozy a fait de cette phrase un leitmotiv depuis son retour sous les projecteurs de la politique en 2002. Kärcher à la ceinture, il réaffirmait vendredi 5 août dans les colonnes de Libération que "la reconduite à la frontière des migrants en situation illégale" était plus que jamais l'une des priorités du gouvernement. Quitte à resserrer l'étau autour des militants de la cause des sans-papiers. Car depuis qu'il a repris ses quartiers Place Beauvau, déjà deux d'entre eux ont connu la garde à vue.
Alassane Samb fut le premier à faire les frais du "retour de Sarko" à l'Intérieur. Le 20 juin, alors qu'il se trouve au commissariat de Saint-Denis (93) pour accompagner l'épouse d'un sans-papiers gardé à vue, il est à son tour placé en garde à vue pour outrage à agent. Si la Coordination nationale des sans-papiers affirme qu'il a été "insulté, menotté et roué de coups" dans les locaux de la police, Assane Samb ne sera pas moins jugé en décembre prochain par le tribunal correctionnel de Bobigny.
Pour Agnès cluzel, militante du MRAP en Seine-Saint-Denis, la relation de cause à effet entre le retour du nettoyeur de l'Intérieur et cette arrestation est évidente. "Il y a désormais dans les préfectures des gens à l'image de sa politique. Récemment, une famille en situation irrégulière a reçu un faux avis d'expulsion dans sa boîte aux lettres. Devant l'impossibilité de porter plainte, nous avons pris rendez-vous à la préfecture. Nous sommes sortis abasourdis de cette entrevue. En dix ans d'échange avec ce service, on n'avait encore jamais connu un tel niveau de mépris de la part d'un responsable."
Le cas de Nicole Musslé, vice-présidente de la fédération de Moselle du MRAP, est encore plus éloquent. Le 27 juillet dernier, en se rendant à la gendarmerie pour récupérer l'arrêté de reconduite à la frontière d'une mère en situation irrégulière, elle était interpellée et placée en garde à vue pour séquestration d'enfants. Son tort? S'être inquiétée du sort de deux enfants de huit et quatorze ans que les forces de l'ordre avaient jugé bon de laisser seuls à l'hôtel où vivait la famille.
"Le but de ces arrestations est de nous casser", analyse Agnès Cluzel. Et, outre ces arrestations, c'est le climat que crée la politique de Nicolas Sarkozy qui inquiète le plus la militante. "Aujourd'hui, en région parisienne et ailleurs, des plaisantins se permettent d'effrayer ou de faire des fausses joies aux sans-papiers car ils se sentent en totale impunité."
Cette pression mise sur les militants n'est pas nouvelle. depuis 2002 et le durcissement des lois sur l'immigration, plusieurs d'entre eux ont connu la garde à vue pour avoir hébergé des étrangers en situation irrégulière, notamment près de Sangatte. De la même manière, les associations avaient mis en garde le gouvernement contre une obsession sécuritaire favorisant le communautarisme, la délation et la chasse au clandestin. Si bien qu'aujourd'hui personne n'est vraiment surpris de voir certains Français renouer avec leurs bonnes vieilles habitudes des années quarante.
Paul Goiffon